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PROGRAMME INONDATIONS PYRENEES JUIN 2013

Chronologie des catastrophes en vallée de Barèges

Présentation générale et commentaires (extrait du "rapport Barèges - La vallée aux catastrophes - 1993)

 par Jean-Paul Métailié

Télécharger le fichier en pdf : chrono_bareges

Voir également la compilation des évènements

Introduction

La chronologie qui est présentée ici n'a aucune prétention d'exhaustivité [1]. D'une part ce genre de compilation dépend directement de la précision des sources exploitées et de leur abondance : les lacunes peuvent fausser irrémédiablement une chronologie. D'autre part, l'attention portée aux catastrophes a changé selon les périodes historiques et cela peut aussi contribuer à expliquer des lacunes. Mais, dans une certaine limite, il est possible de dépasser ces limites grâce au croisement systématique des sources et à l'élargissement géographique de la recherche, pour situer le cas de Barèges dans le cadre régional. L'établissement de la chronologie a donc ici bénéficié des travaux effectués par ailleurs sur le même thème dans les Pyrénées centrales (bassins des Nestes, de la Garonne, du Salat et de l'Ariège) et à Toulouse[2].

L'accumulation d'informations sur une région assez vaste permet d'aller au-delà d'une simple succession d'événements, anecdotiques en eux-mêmes, pour dégager des correspondances entre les dates, voire mettre en évidence des périodes charnières, des tendances. On peut hiérarchiser ainsi les catastrophes, en différenciant les crises d'ampleur régionale et les accidents localisés. Dans cette perspective, on a pu remarquer qu'il était impossible, dans un premier temps, de connaître a priori la valeur de l'information, et toute mention d'événement, même minime (réparation de chemin, de pont), peut être importante par la suite, mise en relation avec d'autres faits. Aucune source n'est donc négligeable.

Le repérage des dates importantes, acquis de la recherche menée jusqu'à maintenant, permettra plus tard de reprendre l'approche des sources avec une optique différente : non plus un dépouillement systématique, toujours long, souvent peu productif ou même irréaliste comme dans le cas des archives de l'Ancien Régime, mais une recherche ciblée, quelle que soit la source, sur des périodes précisément définies.

L'intérêt historique des résultats actuellement obtenus est d'offrir la possibilité d'un approfondissement de la recherche pour des périodes où les données sont encore très disparates et incomplètes : XVIème siècle, peut-être, et surtout XVIIème siècle et première moitié du XVIIIème.

Les informations sont très inégales pour le XVIIIème siècle. La gestion des catastrophes ressortissait surtout des organisations locales (communautés, vallées, Eglise, Etats) qui ont laissé peu ou pas d'archives spécifiques sur le sujet. Les mentions d'événements se trouvent dispersées : fonds notariaux, récits de voyage, correspondances, rapports d'Intendants, délibérations consulaires, etc. Dans la Bigorre, ce n'est que dans les années 1780 que les mentions de catastrophes se font plus systématiques : le Roi entreprend à cette époque d'interférer dans la gestion des Etats pour mieux la contrôler, patr le biais de l'octroi de secours aux sinistrés (Archives Nationales, série H : fonds de secours) [3]

Quoiqu'il en soit, la notation des événements est donc faussée et on ne peut prétendre pour l'instant qu'à mettre en évidence les plus graves, ce qui reste quand même significatif. Par contre, certains événements locaux violents peuvent avoir été occultés. Une autre distorsion est à noter : l'agglomération des thermes de Barèges était peu importante jusque vers 1730, en grande partie faite de cabanes démontées l'hiver, et les dégâts provoqués par les avalanches n'étaient guère mentionnés. L'attention ne se porte sur ce problème qu'à partir des années 1760, avec l'accroissement du tourisme thermal, et les avalanches sont alors notées fréquemment.

Il n'y a guère de problèmes pour le XIXème siècle, par contre ; les services de l'Etat se sont constitués à cette période selon un modèle qui a peu changé depuis et le repérage des archives intéressantes est rapide: archives forestières (des services RTM, notamment), calamités agricoles, services hydrauliques, service de navigation, Ponts et Chaussées, rapports de gendarmerie, météorologie, archives municipales, etc. La prise en compte des catastrophes était bonne, en raison de la mise en place des systèmes de secours et d'aides publiques, ainsi que de la nécessité de gérer et améliorer de infrastructures de plus en plus lourdes. La chronologie peut être considérée comme fiable pour cette période, et d'ailleurs disproportionnée par rapport au XVIIIème siècle, en particulier en ce qui concerne les avalanches. Elle furent scrupuleusement répertoriées, surtout sur la fin du siècle, au fur et à mesure que la station s'urbanisait et que des travaux importants de protection étaient réalisés.

Au XXème siècle, la notation des avalanches est très détaillée, la moindre coulée ayant atteint le bas du versant est signalée, même si elle était inoffensive. Cela oblige d'un coté à relativiser et minimiser l'ampleur des avalanches récentes, mais, d'un autre coté, si l'on tient compte de l'influence stabilisatrice des travaux de protection, ces avalanches peuvent rester significatives. Il y là un problème d'interprétation qui n'est pas réglé.

Les particularités du site de Barèges, très propice au déclenchement d'avalanches répétées et de grande ampleur, induisent une dynamique catastrophique très locale, qui n'est pas généralisable. Ce n'est que dans les cas de concomittance avec les périodes avalancheuses dans le reste du Lavedan ou des Pyrénées que ces événements deviennent significatifs pour l'analyse de l'évolution générale des risques.

Méthodologie de la cartographie

Les informations ont été synthétisées sur les treize cartes rassemblées en fin de chapitre. Le principe de cette cartographie chronologique est volontairement simplificateur, étant donné les difficultés de localisation précise des phénomènes (avalanches, par exemple), la rareté des sources pour certaines périodes, leur surabondance à d'autres. On a choisi un découpage chronologique arbitraire et régulier, par périodes de 25 ans, plutôt qu'un découpage par périodes homogènes de durées variables : l'évolution historique est en fait beaucoup mieux visible avec la première méthode. Les trois cartes du début, jusqu'en 1750, couvrent des périodes de 50 ans, en raison de la rareté des événements notés. La représentation graphique des événements a été calculée pour accroître l'importance relative des grandes catastrophes.

Les limites de l'information contenue dans ces cartes appellent quelques commentaires :

- d'une part, il est évident qu'il y a sous-représentation des phénomènes mineurs (éboulements et ravinements, crues sur les torrents secondaires, avalanches) au XVIIIème siècle et et peut être au début du XIXème siècle.

- d'autre part, les informations sont nombreuses dans le bassin de Luz et la vallée du Bastan, amis elles deviennent rares dans les hautes vallées. La vallée de Gavarnie, par exemple, est visiblement sous-représentée par rapport à la réalité probable des phénomènes.

Malgré ces limites, ces cartes restent très expressives ; de grandes périodes de concentration des catastrophes apparaissent nettement : la fin du XVIIIème siècle, la fin du XIXème siècle, encadrées par ce qui semble être (jusqu'à plus ample informé) des moments d'accalmie. Une telle périodisation, on le verra, n'est pas spécifique à la vallée de Barèges mais se retrouve dans toutes les Pyrénées non méditerranéennes.

AVANT LE XVIIIème SIECLE : QUELQUES INFORMATIONS DISPERSEES

Les données recueillies sur la période antérieure au XVIIIème siècle sont pour l'instant très éparses, mais néammoins intéressantes en raison de l'ampleur des phénomènes décrits.

La tradition rapporte par exemple la destruction complète du village de Chèze par une avalanche au XVème siècle ; il y aurait eu plusieurs centaines de morts et le village aurait été reconstruit plus loin, à l'emplacement actuel. [4]

En 1598, c'est le village de Saligos qui fut détruit par une avalanche, toujours sur le même versant de la montagne du Soum de Nère, et là aussi le village aurait été déplacé [5]. Peu de temps après, en 1601, une autre avalanche partant du même massif détruisit le village de Saint-Martin, situé sur la rive droite du Bastan en face de Viella (au lieu-dit actuel St Martin), tuant une centaine de personnes. Le village ne fut pas reconstruit et les survivants se dispersèrent dans les villages voisins.

Ces deux épisodes bien connus chronologiquement correspondent à une période de refroidissement climatique bien individualisée par les historiens dans toute l'Europe : crue glaciaire dans les Alpes autour de 1600, "grands hivers" répétés et sensibles dans tout le Sud (en 1588, par exemple, on sait que les Gaves et l'Adour ont gelé [6]), nombreuses famines provoquées par les successions de printemps et d'étés trop froids et humides. L'extrême abondance de neige nécessaire à la formation d'avalanches destructrices dans les sites de Saligos et de St-Martin est donc à replacer dans un contexte climatique particulier, excessif et d'une grande rigueur, qui est celui de la première grande crise du "petit âge glaciaire".

La fin du XVIIème et le début du XVIIIème siècles constituent également une période nette de crise climatique dans toute l'Europe, qi est marquée à Barèges par plusieurs catastrophes importantes. Les événements sont peu nombreux, essentiellement torrentiels, mais on peut en relier certains à d'autres dates clés au niveau régional. Par contre, il est pour l'instant impossible de décrire ce qui s'est passé pendant la première moitié du XVIIème siècle, pour l'instant vide de témoignages.

Les avalanches de 1644 et l'éboulement de l'Arraillé à Héas en 1650 (lié à un grand abat d'eau) ne semblent pas avoir eu de correspondances régionales. Par contre, la grande crue de 1678 se produisit en même temps qu'une des plus grandes inondations connues de la Garonne [7]. Les crues de 1685, 1686, 1705 et 1712 (cette dernière parallèle à un très forte crue de la Garonne) ne furent certainement pas les seuls événements de cette période, qui corespond comme la précédente un des paroxysmes du "petit âge glaciaire". Il est vraisemblable que des recherches approfondies feront apparaître d'autres épisodes, en particulier des avalanches lors des "grands hivers"qui se sont succédés au XVIIème siècle.

LA CRISE DU XVIIIème SIECLE

Après 1712, il n'a pas été trouvé jusqu'à présent en vallée de Barèges de mentions de catastrophes jusqu'aux années 1750 ; il est impossible qu'il n'y en ait pas eu, et ce vide devra être comblé par des recherches complémentaires. La région n'a pas pu échapper aux crues qui ont provoqué, par exemple, le grand débordement de la Garonne en septembre 1727, ou bien à celles de 1730 qui sont signalées à la fois en Ariège (Antoine, 1992) et en Béarn (Palassou, 1781).

Il n'en reste pas moins que le première moitié du XVIIIème siècle est particulièrement exempte de catastrophes dans les Pyrénées. Deux explications peuvent être avancées : lacune des sources, ce qui est probable mais devra être précisé, ou bien accalmie naturelle. Ce demi-siècle est en effet connu des historiens du climat (Lamb, 1972, 1977, 1985 ; Leroy-Ladurie, 1983) comme une période de relatif réchauffement et de plus grande régularité après la crise de la fin du XVIIème siècle. Cette tendance s'interrompt dans les années 1750 et l'on voit réapparaître des événements catastrophiques remarquables ; la précision accrue des archives à cette époque permet d'en mieux saisir la succession rapide.

Les graves inondations de juillet-août 1750 dans les bassins de la Garonne et de l'Ariège ne semblent pas avoir eu de répercussions dans le Lavedan et la décennie y fut assez calme. A partir de 1762, par contre, les catastrophes spectaculaires se succédèrent à un rythme rapide dans toutes les Pyrénées, Lavedan compris. Cette apparition brutale des phénomènes catastrophiques dans des sources qui les ignoraient auparavant peut être artificielle ; les Pyrénées et le haut Lavedan en particulier deviennent plus sensibles aux risques naturels : des routes se construisent et surtout les stations thermales se développent, devenant un enjeu économique primordial dans la vallée de Barèges, multipliant les aménagements fragiles dans un milieu montagnard contraignant. Par ailleurs, la mise en place de procédures de secours aux sinistrés (exemption d'impôts, aide matérielle) incite les communautés à rendre compte, souvent en les éxagérant, de catastrophes qui étaient vécues autrefois avec fatalisme, ou bien surmontées avec les ressources locales. Mais la gravité des événements de cette période, leur ampleur géographique et leur répétition font apparaître une réalité objective : les Pyrénées connurent entre 1760 et 1790 une véritable crise catastrophique.

La crue du Bastan de juin 1762, par exemple, prit place dans une année où le printemps et l'été furent particulièrement humides, avec de violentes crues répétées dans tout le bassin de la Garonne,de l'Ariège, à Toulouse, etc. En 1765, le schéma fut le même avec une succession de graves inondations de mai à décembre dans toutes les Pyrénées. Les gaves et le Bastan rentrèrent en crue deux fois cette année là, en juin et décembre. Par contre, les années suivantes, il ne semble pas qu'il y ait eu de correspondance locale avec les nombreuses crues de la Garonne et de l'Ariège en 1767, 1768 et 1769. Cela demande malgré tout confirmation, l'ampleur des crues mesurées alors à Toulouse signifiant en général des pluies sur toute la chaîne.

En 1770, les grandes crues locales du Lavedan sont parallèles au "Grand aygat dets Raméous" du 5 au 7 avril, une des plus grandes crues du siècle à Toulouse (la cote 6,00m fut atteinte et plusieurs quartiers ravagés) ; toutes les Pyrénées furent touchées par des avalanches et des crues, et il est d'ailleurs vraisemblable que des avalanches destructrices ont dû se produire en janvier-février en Lavedan. Nous n'en possédons aucune preuve, mais on connait des cas d'avalanches meurtrières la même jour (11 janvier) près de Luchon et en vallée d'Aspe ; il serait étonnant que rien ne se soit produit en Lavedan [8]. A peine deux ans plus tard, les terribles crues de septembre 1772 furent ressenties dans toutes les Pyrénées, du Béarn à l'Ariège, ce qui est une concommitance rare ; la Garonne atteignit 6,35m à Toulouse. Les événements de grande ampleur se sont succédés alors à un rythme presque annuel, dont on retrouve dans la chronologie locale les avalanches de mars 1778  et février 1789, et les crues de juillet 1780, mai et septembre 1787, et septembre 1788. Il est vraisemblable que d'autres événements intercalés ont échappé aux recherches : en 1785, par exemple, une forte crue est ressentie dans la vallée voisine de l'Adour et serait probable dans le Bastan ; les hivers froids et neigeux de la fin du siècle ont dû provoquer également des avalanches destructrices plus nombreuses dans les hautes vallées de Gèdre et Gavarnie.

L'ampleur des catastrophes et leur fréquence diminuèrent dans les années 1790-1800, que ce soit dans le haut Lavedan comme dans le reste des Pyrénées, en particulier les crues torrentielles. Par contre, les avalanches devinrent plus destructrices à Barèges même : en 1802, 1803, 1807 et 1811, des maisons et des granges furent détruites, et des habitants tués. Ce phénomène peut être aussi bien lié à une fréquence plus élevée d'avalanches (des hivers froids et neigeux caractérisent le début du XIXème siècle) comme à une aggravation des dégâts provoquée par la densification des habitations permanentes autour des thermes, désormais occupées même l'hiver.

LE MAXIMUM CATASTROPHIQUE DU XIXème SIECLE

La première moitié du XIXème siècle semble relativement calme dans le Lavedan, comme dans le reste des Pyrénées. On note bien sûr des avalanches en 1823, 1830 (l'hiver 1829-1830 fut le plus froid enregistré en Europe depuis le début des mesures météorologiques régulières), 1832, 1837, 1839, 1842, mais les avalanches à Barèges ne peuvent plus être considérées comme un événement significatif quand elles ne sont pas corrélées à une situation d'ensemble. Deux inondations importantes eurent lieu en 1826 et 1827, provoquées par des abats d'eau généralisés dans les Pyrénées centrales. En octobre 1826, par exemple, la crue est forte sur la Garonne, les Nestes et la Bigorre ; en 1827, la crue principale sur la Garonne est en mai (7,05 m à l'Embouchure à Toulouse), sans correspondance connue dans le Lavedan, suivie à la fin novembre d'une autre crue violente dans l'Ariège, dans une moindre mesure dans la Garonne (3,70 m à l'Embouchure à Toulouse), mais forte à Barèges sur le Bastan. Une autre crue , purement locale, en juillet 1828, finit de dessiner une période de plusieurs années orageuses, génératrices d'inondations ; la recherche est à approfondir, visiblement, car la grande crue de mai 1835, une des plus fortes connues à Toulouse (6,35 m au Pont Neuf à Toulouse) n'a apparemment aucune correspondance en Lavedan, ce qui paraît étonnant et reste à vérifier [9].

Cette période n'est donc pas exempte d'événements graves, localement aussi bien que régionalement (deux crues majeures de la Garonne en 10 ans), mais elle semble malgré tout assez calme, ce dont les contemporains eux-même avaient conscience : la crise de la fin du XVIIIème siècle était encore dans les mémoires et servait de référence relative. Les lacunes dans les mentions de catastrophes sont des faits habituels dans les archives pyrénéennes, que ce soit en Ariège ou dans les Hautes-Pyrénées. Elles obligent cependant à une interprétation des données parfois hasardeuse et rendent nécessaire un approfondissement des recherches, en particulier sur ce début du XIXème siècle. La quasi-absence de documents concernant les grandes crues de 1827 et 1835 dans la montagne est à cet égard troublante.

Tout change à partir des années 1850-55. On rentre alors dans une période qui va durer près de 60 ans et qui va voir se succéder à un rythme effréné des catastrophes d'ampleur régionale et nationale, avec quelques unes parmi les plus grandes jamais observées. Le climat, très humide et doux sous le Second Empire (les crues de type "atlantique" sont largement dominantes à cette époque), devint contrasté à la fin du XIXème siècle : sècheresses prolongées suivies de périodes très pluvieuses, hivers froids et enneigés ou au contraire secs et doux, etc. L'instabilité culmina dans les années 1880, mais le réchauffement général du climat était amorcé depuis la première moitié du siècle et allait globalement s'amplifier en dépit des aléas enregistrées. Les contemporains étaient cependant moins sensibles à cette évolution, difficile à percevoir et à quantifier, qu'à l'irrégularité de la période et aux multiples désastres [10]. Le discours sur la dégradation des montagnes se développe alors, dans une ambiance catastrophiste et d'urgence. Il est vrai que la chronologie des événements est impressionnante à partir de la décennie 1850 :

- mars 1853 : grandes avalanches sur toutes les Pyrénées ;

- juin 1854 : débordement du Gave, ainsi que de nombreuses rivières pyrénéennes, forte crue à Toulouse ;

- avril 1855 : énormes avalanches dans tout le Lavedan, provoquant de nombreux dégâts et des morts ; avalanches également en 1856 et 1860.

Par contre, le haut Lavedan ne semble pas avoir été affecté par les très fortes crues enregistrées en juin 1855 et mai-juin 1856 dans tout le bassin de la Garonne. C'est à vérifier car ces années furent exceptionnellement humides dans toute la France (inondations parallèles de la Loire, de Rhône et de la Garonne), et en 1856, la crue de la Garonne dura en fait deux mois entiers ; il paraît donc étonnant qu'il n'y ait pas eu d'impact dans la vallée de Barèges alors que toutes les Pyrénées en souffraient.

En juin 1861, juin et décembre 1862, et mai 1865, les inondations du Bastan et du Gave furent concordantes avec d'autres événements pyrénéens. Le printemps très neigeux et humide de 1865 fut par exemple à l'origine de la création d'un des plus importants ravins pyrénéens : le Laou d'Esbas, dans la vallée de Luchon, où fut établi un périmètre de restauration des terrains en montagne aussi célèbre que celui de Barèges.

Les avalanches furent nombreuses et destructrices en 1866, 1867 et 1869, années également orageuses et marquées de crues localisées dans toutes les vallées de la chaîne. En 1870, après un hiver rude et enneigé, le printemps  fut particulièrement avalancheux, avec des crues provoquées par la fonte tardive.

L'inondation de septembre 1872 fut ressentie dans toutes les Pyrénées, et fortement dans le haut Lavedan où elle entraîna érosions, engravements et glissements. Elle est considérée rétrospectivement comme un événement avant-coureur de la crue de juin 1875, énorme et dévastatrice dans tout le bassin de la Garonne, mais beaucoup moins dans le bassin du Gave de Pau. La vallée de l'Adour fut durement touchée, mais pas celle du Bastan ; seules quelques granges et prairies riveraines subirent des dégâts. Ce contraste entre les deux vallées est remarquable, et instructif : il contribue peut-être à expliquer les bizarres absences de mentions de catastrophes à Barèges lors d'autres crues majeures de la Garonne (1827 ou 1835 par exemple). La distribution des abats d'eau dépend avant tout de la direction des flux et des effets orographiques, et les vallées du Bastan et du Gave sont localisées à l'intérieur de la chaîne, abritées derrière les massifs du Pic du Midi, au nord, et du Néouvielle au sud. Elles peuvent donc échapper à un front pluvieux installé sur la Garonne et l'Ariège ; par flux de nord-ouest, la vallée du Bastan est beaucoup plus ouverte, comme on le verra en 1897 ; les flux de sud, avec front pluvieux provenant d'Espagne, sont également générateurs de crues fameuses, sur la haute vallée du Gave, telles les crues d'automne enregistrées au XVIIIème siècle (1772, 1780, 1787, 1788), ou celle de novembre 1982, la dernière en date.

Les années qui suivirent 1875 furent marquées dans les Pyrénées par de multiples événements locaux, en particulier durant la décennie 1880 qui connut un climat contrasté et très orageux. 1877 fut une année ponctuée de crues locales, suivie par un hiver 1878-79 particulièrement avalancheux. Le printemps 1880 fut très humide et des pluies torrentielles tombèrent sur les Pyrénées, provoquant des crues et glissements de terrain dans toutes les vallées, de l'Ariège au Béarn. Les grands ravins du Pontis et du St Laur, près de Barèges, produisirent à cette date de grosses laves torrentielles, qui se répétèrent par la suite en 1882 et 1885, chaque fois à l'occasion d'un événement pluvieux important. Durant toute la décennie, les crues, laves torrentielles, avalanches et glissements de terrain se multiplièrent dans le haut Lavedan, à l'instar de ce qui se passait dans le reste des Pyrénées. Plusieurs avalanches tombèrent sur Barèges, dont une énorme en février1889, qui bloqua la circulation jusqu'au mois de juillet. Tous les ravins entrèrent en activité croissante, notamment ceux de Viella et de Gavarnie, et les dégâts furent nombreux dans les hautes vallées. En 1895, les chutes de neige exceptionnelles de janvier, qui touchèrent toute la chaîne (20 morts en Ariège), se traduisirent par de nombreuses avalanches dans la Lavedan ; à Barèges, le Casino déjà rasé en 1889, fut à nouveau détruit. Ces vingt années de crise furent couronnées par la crue de juillet 1897.

Cette année-là, les Pyrénées connurent deux catastrophes successives : les 3-4 juillet, de l'Ariège au Lavedan, avec de gros dégâts dans le Gers, et les 2-3 octobre de l'Ariège à la Haute-Garonne. La vallée du Bastan fut un des épicentres du premier événement, qui épargna cependant le reste du haut Lavedan. Campagne (1902) a donné une description imagée et complète de la crue formidable du Bastan, à laquelle on se référera pour plus de détails. Plusieurs maisons et les thermes du Barzun furent détruits à Barèges, qui fut sauvée par la digue érigée au XVIIème siècle en amont du bourg; 85 ha de prairies furent détruits ou engravés, et la route arrachée sur 8 km. Le Bastan se répandit sur son cône à Esterre, et la ville de Luz n'échappa à de gros dégâts que par la construction in extremis d'une digue par les militaires accourus à la rescousse. Les précipitations furent paradoxalement inférieures à celles de 1875, mais plus concentrées et violentes : 130mm en 8 heures à Barèges.

Le retentissement ultérieur de cet événement fut moindre à Barèges que ce que l'on pourrait croire : en dépit de l'engravement du lit du torrent, du sapement des berges et des glissements dans de nombreux ravins, il n'y eut pas de répliques importantes : les premiers travaux RTM avaient déjà réussi à relativement stabiliser les grands ravins du Rieulet, du Pontis et du St Laur, qui ne fonctionnèrent que modérément. Par contre, des conséquences indirectes furent spectaculaires à Viella: huit mois après la crue, un gigantesque effondrement se produisit dans la montagne de Badoueil qui domine le village et près d'un million de mètres cubes de pierres glissèrent sur la terrasse glaciaire. L'instabilité des versants était un phénomène ancien à Viella : Le village est situé sur une terrasse morainique qui a toujours été affectée par des mouvements provoquant des dégâts aux habitations. De plus, le torrent du Bayet était très actif et sa correction avait commencé en 1860. Les abats d'eau de 1897 furent certainement le facteur final d'accélération de l'effondrement de la montagne de Badoueil, mais la dynamique devait être ancienne et un écroulement avait déjà commencé à se produire en mai 1896 à la crête de Couret, où se produisit la rupture du 11 avril 1898. Les dégâts directs furent limités (une grange fut petit à petit absorbée par la progression du front du glissement) mais la masse écroulée pesa sur la terrasse et accentua pendant des années les problèmes de mouvements de terrain, en parallèle avec les effets du soutirage en aval que le sapement des berges du Bastan avait provoqué.

L'ambiance climatique de la fin du XIXème et du début du XXème siècle semble avoir été pluvieuse et génératrice de crues océaniques d'hiver et de printemps dans les Pyrénées. Dans le haut Lavedan, ces situations climatiques se traduisirent par de nombreuses avalanches en 1900; 1902, 1904, 1906, mais surtout en décembre 1906 (en parallèle avec les crues qui provoquèrent des destructions et 9 victimes à Ouzous et Salles), où les avalanches furent accompagnées d'une crue, en février-mars 1907 (grosses destructions à Barèges et Héas, 5 victimes), en janvier et avril1915 (nouvelles destructions de maisons à Héas et Barèges, 2 victimes). Les énormes avalanches de poudreuse du 2 février 1907 sont certainement celles sur lesquelles on possède la plus importante documentation photographique, et elles vont marquer durablement les mémoires. Parallèlement à ces phénomènes hivernaux, généraux dans les Pyrénées, les vallées du haut Lavedan connurent des crises torrentielles localisées, liées à des orages violents d'été : crue du Soubralets à Betpouey en septembre 1906, crues multiples du Gave, éboulements, etc.

A partir des années 1910, les événements s'espacèrent et devinrent moins destructeurs dans toutes les Pyrénées. Les avalanches de 1915 clôturent la période tourmentée qui durait depuis les années 1850. La vallée de Barèges et les Pyrénées dans leur ensemble rentrent alors dans une période d'accalmie relative, non exemptes de catastrophes locales mais où les crises généralisées deviennent rares.

L'ACCALMIE DU XXème SIECLE

La chronique des événements relevé au XXème siècle offre un contraste notable avec celles des siècles précédents, en particulier avec l'accumulation des catastrophes subies à la fin du XIX ème siècle. Les 80 dernières années peuvent paraître comme fort calmes avec le recul, en dépit de quelques moments plus critiques.

Les années 1920 ne furent marquées par aucun événement important : seules sont mentionnées des avalanches localisées et quelques petites crues orageuses. Il faut attendre les années 1930 pour retrouver, un bref laps de temps, une ambiance pouvant rappeller les heures noires du XIXème siècle, et cela à l'échelle régionale d'ailleurs. En 1930, les 12-13 mars voient se succéder éboulements et inondations, lors des crues océaniques-pyrénéennes qui ont suivi la fantastique crue océanique du Tarn (3-4 mars). En 1931, 31, 35, 36, on signale de petites avalanches ou quelques crues et glissements, mais c'est surtout la grande crue d'octobre 1937 qui renoue avec la forme des catastrophes des XVIIIème- XIXème siècle : elle fut ressentie dans toute la chaîne centrale et les Pyrénées-Orientales, concommitance inhabituelle. C'était une situation de type méditerranéen, et les dégâts furent importants dans toutes les vallées internes des Pyrénées, exposées au flux de sud. Tous les Gaves entrèrent en crue violente, mais pas le Bastan. Deux années après, de fortes chutes de neiges printanières provoquèrent des avalanches dans toutes les Pyrénées, spécialement en Ariège et dans le haut Lavedan, où elles endommagèrent des maisons à Barèges et à Gèdre.

Les événements furent de plus en plus espacés dans les années qui suivirent, avec une concentration en 1951 (où un hiver neigeux entraîna des avalanches puis des crues torrentielles lors de la fonte) et surtout en 1952. Les fortes pluies océaniques des 2-4 février de cette année-là, génératrices de la plus forte crue de la Garonne à Toulouse au XXème siècle (4,57 m au Pont Neuf), provoquèrent des glissements de terrain à Gèdre et Barèges, où 5 maisons furent détruites et 4 personnes tuées.

Par la suite, les archives ne révèlent plus pendant une vingtaine d'années que des crues ou des avalanches relativement bégnines, événements locaux peu importants, sans dégâts majeurs, qui n'auraient peut-être pas été mentionnés au siècle passé. Cet affaiblissement des phénomènes peut avoir plusieurs causes : d'une part, la lutte contre les avalanches du Capet, à Barèges, qui n'a cessé de se perfectionner depuis le XIXème siecle, a permis d'obtenir la maîtrise des deux couloirs les plus dangereux, le Midaou et le Theil. Des avalanches continuent de se produire, mais il s'agit d'avalanches de fond, s'arrêtant dans le Bastan ou bien sur les zones non constructibles qui s'étendent là où se trouvait autrefois le Casino. Les ravins sont également stabilisés et n'ont plus engendré de laves depuis les années 1890. D'autre part, les conjonctions climatiques génératrices de catastrophes à l'échelle de la chaîne, qui produisaient toujours des effets locaux considérables, sont devenues rares. Les dernières en date furent inégalement ressenties en Lavedan.

Les crues de mai 1977 (océaniques-pyrénéennes), fortes en vallées d'Ariège et de Garonne (dégâts dans le Luchonnais et toute l'Ariège, crue de 4,36 m au Pont Neuf) n'ont pas touché les vallées de Barèges. Par contre, au cours de l'hiver pluvieux de 1981, au moment où avait lieu une crue océanique importante dans la plaine de la Garonne, des glissements de terrain et des chutes de blocs se produisirent à Esquièze-Serre, dans un versant qui était déjà repéré dans la chronologie pour des problèmes identiques.

Les abats d'eau méditerranéens de novembre 1982 provoquèrent également quelques phénomènes spectaculaires : éboulements en vallée de Héas (juste en amont du hameau), et forte crue du Gave avec érosion des berges entre Héas et Luz, en particulier au niveau du bassin. Le front pluvieux, localisé sur le versant sud des Pyrénées, où il provoqua des dégâts considérables en Andorre et haute Catalogne, a pénétré coté nord par quelques passages en haute-Ariège, haut-Couserans, vallée d'Aure et vallée de Héas, suivant en cela le schéma classique des grandes catastrophes "méditerranéennes" rencontrées dans la chronologie (1772, 1826 et 1937 par exemple).

Le dernier événement notable fut l'avalanche de poudreuse du 31 janvier 1986 à Barèges, dans le couloir de Hount Nègre (peu équipé en paravalanches), pendant une période de fortes chutes de neige dans les Pyrénées. Trois châlets et un hôtel construits dans l'axe du couloir.furent endommagés, mettant ainsi en évidence la persistance d'un risque élevé sur le site de la station.

Conclusion

Cette chronologie, évidemment incomplète, doit être approfondie et perfectionnée. Ce type de document constitue en effet un outil incomparable pour apprécier les dynamiques historiques de l'environnement et le seul moyen, dans de nombreux cas, de réellement définir une potentialité de risque sur des sites qui n'ont pas connu d'événements depuis longtemps.

Dans le cas du haut Lavedan, la chronologie a déjà permis de mieux cerner les relations et différence avec le reste des Pyrénées, que ce soit à l'échelle du long terme historique ou à l'échelle événementielle. On peut également mieux cerner la variabilité et la répartition inter-valléenne des phénomènes.

Deux axes de travail peuvent être retenus pour prolonger la recherche :

- la collecte de données historiques nouvelles, pour compléter du mieux possible le tableau ; les XVIIème et XVIIIème siècle représente les périodes à approfondir en priorité.

- une recherche de terrain pour affiner la représentation spatiale des phénomènes relevés. Ce travail doit de préférence se faire pour les événements les mieux connus, c'est à dire ceux des XIXème-XXème siècles.

On pourra de cette manière aboutir à des documents cartographiques beaucoup plus précis que ceux qui sont présentés en annexe, ce qui est important au niveau de la connaissance scientifique, mais aussi, bien sûr, pour les études de projets d'aménagement, de protection, etc.


[1] Cette interprétation est basée sur les données historiques rassemblées par J.P Alinne, S. Briffaud, J.P.Métailié, F.Ogé

[2] Programme de recherche " Le fleuve ravageur. Risques et aménagement dans le bassin de la Garonne pyrénéenne" PIREN "Histoire de l'environnement. CIMA. Rapport final, février 1991, 314p.

[3] cf. S.Briffaud 1991, Visions et représentations du paysage montagnard,

[4] L'emplacement du XVème siècle semble devoir être celui où se trouve actuellement l'église, sur la rive droite du ruisseau de Camparnas, le village étant aujourd'hui sur la rive gauche, moins dans l'axe du couloir avalancheux.

[5] L'emplacement originel du village est beaucoup moins évident à localiser que dans le cas de Chèze.

[6] in Pambrun, 1854.

[7] in Journal des sçavants, 22 mai 1679. Voir commentaires par S.Briffaud : "Le savant,l'Etat et la catastrophe", rapport PIREN "Le fleuve ravageur". 1991, p74-90.

[8] Avalanche du 11 janvier 1770 à Saccouvielle (Marsan, 1898) et à Cette (plaque commémorative dans le village)

[9] Archives du Canal du Midi, 340-5. Pour la chronologie pyrénéenne générale, cf. rapport PIREN "le fleuve ravageur".

[10] Seuls quelques précurseurs de l'histoire du climat et des glaciers en avaient conscience. Cf Mougin, dans les Alpes, ou Gaurier dans les Pyrénées. On peut noter aussi la fréquence, dans les archives, des déclarations de montagnards affirmant que les chutes de neige étaient plus abondantes autrefois. On pourrait croire qu'il s'agit d'une référence aux "neiges d'antan", mais les nombreuses mentions de granges écrasées par la neige au début du XIXème siècle prouvent la justesse de cette appréciation.

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